Hadley
Il n'est pas plus de sept heures du matin lorsque je traverse le petit couloir éclairé par les rayons du soleil qui relie ma chambre à celle de ma mère.
— Hadley, tu peux m'aider à descendre le carton?
Je tourne la tête et fais quelques pas en direction de ma mère, les pieds traînants et d'énormes cernes soulignant mes yeux.
— Tu es vraiment obligé de faire ça à sept heures du matin? Nous sommes dimanche, tu as toute la journée pour travailler dans tes cartons.
Depuis toute jeune, je n'ai jamais été quelqu'un de très matinale. Ma mère est une femme qui se lève tôt, c'est dans ce genre de moment-là que je comprends que mes habitudes me viennent de mon père. Elle doit toujours tout préparer des heures et des heures avant l'événement qui la hâte, et je dois avouer que j'admire sa capacité à ne jamais être à la dernière minute. Je n'ai pas ce talent. Je remets toujours mes travaux scolaires en retard, et encore, c'est si j'ai de la chance.
— Arrête de te plaindre et viens m'aider, ils sont lourd ces albums!
Je grimace. Je n'ai toujours pas eu droit à mon café, Dieu sait que je ne suis d'aucune utilité sans café.
Je finis tout de même par lever les bras pour aider ma mère avec l'énorme boite posée sur l'étagère. Quand c'est fini, je m'éclipse dans la cuisine, espérant qu'elle n'ait rien d'autre à me demander.
Ma mère est photographe. Ce n'est pas son vrai travail, mais je sais qu'elle fait ça depuis toujours. La semaine, elle bosse dans une entreprise immobilière, mais il faudrait être aveugle pour croire qu'elle aime ce qu'elle fait. Ma mère est comme moi, elle n'est pas du genre à rester cloîtré derrière un bureau à regarder de la paperasse toute la journée. Donc, elle fait de la photographie. Pour les mariages principalement. Elle a prit des cours lorsqu'elle était jeune et elle ne s'est jamais arrêtée.
— Tu veux bien me préparer un ½uf?
Je soupire, je devais bien m'en douter. C'est toujours moi qui fais les petits déjeuners dans cette maison. Je crois que c'est mieux comme ça. Ma mère a peut-être la main pour les photos, mais Dieu sait qu'il serait dangereux de la laisser avec un couteau et des ingrédients dans une cuisine. Si ce n'était pas qu'elle se couperait la main, elle arriverait à tous nous empoisonner.
Mon père, il cuisine très bien — du moins, il connait la base alimentaire — mais il travail de nuit, ce qui veut dire que dans la journée, il n'est pas spécialement disposé à nous faire les petits déjeuners.
— Bien sûr.
Je prépare les ½ufs de ma mère et monte immédiatement à l'étage. Une fois devant mon lit, je me laisse tomber vers l'avant et enfoui mon visage dans mon oreiller. Mon vieux t-shirt de Queen remonte sur mon ventre et mon short descend trop bas sur mes hanches, mais je suis consciente de ne pas non plus faire parti de celles ont le plus de classe au réveil.
Il doit me rester près de huit heures à végéter dans ma maison et m'occuper à faire n'importe quoi avant l'arrivée de mon meilleur ami, Chris. Je savais que ce soir il souhaitait me traîner à une fête, mais j'étais loin de me douter qu'il comptait m'emmener dîner avant.
Sa demande m'a plutôt étonné : demain, nous sommes lundi et nous devons retourner en cours. Nous sommes à la dernière étape de la terminale et les examens finaux auront lieu dans un peu moins de deux mois... Je suis légèrement angoissée, mais je sais que j'y arriverai. J'ai tout donné cette année pour arriver à intégrer l'université de New York l'an prochain. J'aimerais devenir réalisatrice, écrire mes propres scénarios de film et enfin pouvoir créer mes personnages à moi.
*
J'arrive dans deux minutes.
Je soupire et ne répond pas au message de Chris. Il a cette mauvaise habitude d'envoyer des messages au volant et je n'approuve pas du tout son attitude nonchalante. Il sait très bien que c'est risqué, et en dépit de sa situation, il continue quand même.
— Hadley, ma chérie! Chris est devant, me crie ma mère, du rez-de-chaussée.
Je souris et passe devant le miroir pour examiner ma tenue. Le mascara de la veille qui était étendu sur mes joues a été remplacé par un faible fard à joue et les cernes sous mes yeux ont disparu.
Chris et moi sommes amis depuis un peu plus d'un an et il est la personne la plus adorable que je connaisse. Il est grand, il possède un physique avantageux et son attitude nonchalante plaît à beaucoup de filles. D'un autre côté, il est certain que le capitaine de football du lycée a quelques avantages que les autres n'ont pas.
— J'arrive!
Je range ma brosse à cheveux dans le tiroir de ma commode et glisse mon téléphone dans mon sac, avant de passer la porte de ma chambre et de filer au rez-de-chaussée, où je découvre ma mère, le nez dans ses cahiers, un stylomine entre les dents. Lorsque je la vois comme ça, assise en tailleur avec un énorme chignon ramassé sur sa tête, je ne peux m'empêcher de l'imaginer lorsqu'elle avait mon âge. Elle devait être belle. Très belle.
— J'y vais maman, ne m'attend pas pour le dîner, lui annonçais-je, en enfilant mes Converse sur le tapis de la porte d'entrée. À plus!
Elle relève la tête un instant, me sourit, et retourne à ses dossiers. Je ne perds pas plus de temps et rejoins Chris à l'extérieur. Il me sourit.
— Voilà ma guerrière! hurle Chris.
Je lui dis immédiatement de se taire en posant la paume de ma main contre ses lèvres.
— Chris! Je t'ai déjà dis mille fois de ne plus m'appeler comme ça, gueulais-je. C'est agaçant.
Il pose une main sur son c½ur et rejette la tête en arrière.
— J'y peux rien, c'est plus fort que moi. Bébé, t'as vu comme tu l'as défoncé?
Je tourne rapidement la tête vers lui.
— Chris! M'écriais-je, choquée.
— Tu peux arrêter de dire mon nom comme ça?
Je soupire.
— Je ne l'ai pas défoncé! Tu sais très bien que les bagarres ne sont pas dans mes habitudes. Elle m'avait cherché, tu ne peux pas dire le contraire.
Je me justifie, mais je sais parfaitement que je n'ai pas à le faire devant lui. Chris pense comme moi : je ne suis pas une bagarreuse. Je ne suis pas le genre de fille qui sort en soirée pour se battre, mais ce soir-là, Carly m'avait provoqué.
J'étais sortie avec Chris et Ever. Elle tenait à célébrer sa nouvelle relation et nous avions prévu de nous amuser en boite, mais nous ne sommes pas le genre de personne à boire lors des sorties, danser nous suffit.
Carly, l'une des meneuses de claque du lycée, s'est pointée et a commencé à s'en prendre à Chris à propos d'une vieille histoire concernant son père. Il aurait percuté un gamin alors qu'il était ivre en novembre dernier. C'était il y a environ six mois, peut-être sept. L'accident a tué son père au même moment... Ça a été un moment difficile pour nous tous, et pour la famille du petit garçon. Il a survécu, ce qui est un miracle, mais Chris ne s'est pas remit du décès de son père. C'est pour cette raison qu'il refuse de boire en soirée, et je l'accompagne dans sa démarche. Ever est un peu moins loyale envers cette idée, mais il lui arrive de la respecter.
Marc était comme un père pour moi, ça m'a touché moi aussi et je n'ai pas hésiter une seconde avant de coller mon poing au visage de Carly. Je ne le regrette pas et je le referais s'il le fallait, malgré le fait que nous ayons été sorti du bar pour bagarre et que j'ai eu quelques problèmes avec ma mère.
Chris hoche la tête et hausse les épaules, avant de tourner les talons et d'entrer dans sa voiture. Je fais de même.
*
— Ever va venir, ce soir? Demandais-je, curieuse.
Ever n'aime pas vraiment les soirées étudiantes, même si elle nous accompagne parfois.
— Je crois qu'elle doit nous rejoindre là-bas. Elle devait passer chez Tyler d'abord.
Je roule des yeux et serre les dents en entendant le nom du nouveau petit ami d'Ever.
Tyler n'est pas vraiment celui que je préfère en ce qui concerne les relations d'Ever. Il est beaucoup trop lèche-cul, même si — je lui accorde — il n'est pas l'homme le plus repoussant qu'il soit.
— Elle ne va quand même pas l'emmener? M'exclamais-je.
Chris sourit.
— T'imagine ce type à une soirée? C'est déjà un miracle que toi t'y entre.
Je grimace mais ne relève pas l'insulte. Je sais qu'il dit ça pour m'agacer. Je ne suis pas coincée, mais j'aime être organisée, et j'avoue que je préfère les soirées assise dans mon lit avec un bouquin plutôt que les bruits agressant et les gens ivres dans les soirées étudiantes.
Chris nous conduit jusqu'à chez Liam, un étudiant qui organise toujours des soirées les dimanches soirs, ce qui m'a toujours un peu intrigué, mais personne ne s'en préoccupe vraiment. Nous entrons , la fête a déjà commencé. Des gens dansent et boivent dans tous les coins de la maison et je crois même que quelques-uns sont déjà ivre, malgré qu'il ne soit que vingt-et-une heure.
De l'autre bout de la pièce, j'aperçois Ever qui se dirige vers moi à grand pas.
— Had! Bon sens, je vous ai cherché partout.
— Salut Ever, t'es venu finalement.
Elle me sourit.
— Bien sûr, je ne voulais pas attendre une minute de plus chez Tyler! Il y a son cousin de Pittsburgh qui vient de débarquer. D'après ce que m'a raconté Tyler, ce type n'a pas l'air très fréquentable.
— Je te plains, même si je suis à peu près certaine que je préférerais me retrouver avec lui plutôt qu'avec ton petit emmerdeur de Tyler.
Je me moque d'elle, mais je sais qu'elle n'aime pas lorsque je dis du mal de son petit ami, ce qui est plutôt normal à vrai dire.
— C'est un garçon génial, Hadley. Tu ne le connais simplement pas.
Je ne dis rien et lève les yeux pour voir Chris qui se dirige vers Liam, celui qui organise la fête. Je sais que dans deux heures, il en aura eu assez et me demandera de repartir. En attendant, je vais m'asseoir dans un des canapés du salon avec Ever, tentant d'éviter les gens ivres qui ne tiennent pratiquement plus debout.
*
De toute l'histoire des soirées auxquelles j'ai participé, celle-ci sera probablement classée dans la catégorie des plus ennuyeuses. Les gens sont bourrés, défoncés, et il n'y a pas moyen d'avoir une conversation claire avec qui que ce soit. Même Chris a l'air complètement à l'ouest, et pourtant il adore ce genre de soirée. Ever est parti depuis presque dix minutes, je suis seule sur le canapé à parier avec moi-même sur le petit groupe qui se trouve devant moi en essayant de savoir qui retournera son dîner en premier.
Après encore de longues minutes, je me décide enfin à mettre un terme à tout ça et pars à la recherche de Chris, qui s'est évaporé depuis la dernière fois où je l'ai vu.
Je me lève du canapé et balaie la pièce du regard. J'essaie d'éviter les gens qui dansent, tous agglutiné près du canapé, et monte à l'étage afin de voir si je ne peux pas y trouver Chris. Malheureusement pour moi, je ne trouve que des corps à moitié nu, et encore, c'est si j'ai de la chance.
Je sors finalement par la porte de derrière, entourée de jeune hommes ivres. Ils rient et parlent de n'importe quoi, mais je ne prends pas la peine d'essayer de comprendre leurs mots mâchés et espère secrètement que l'un d'eux finira par tomber dans la piscine.
Je m'enfonce sur le terrain. Chris a parfois l'habitude — lorsqu'il s'ennuie à une soirée — de se retirer dans un coin pour prendre l'air et s'éloigner du monde. Je m'apprête à rebrousser chemin quand j'entends quelqu'un m'interpeller. C'est une voix d'homme.
— Toi, viens par là.
Je fronce les sourcils. Je cherche quelques instants d'où vient la voix, avant d'apercevoir une silhouette adossée au garage, il me fixe.
— Moi?
— À qui d'autre veux-tu que je parle? dit-il, d'un ton tranchant.
Je serre la mâchoire. Il pourrait tout de même être un peu plus agréable, c'est lui qui vient de m'interpeller alors qu'il est caché derrière une porte de garage.
— Qu'est-ce que tu veux? soufflais-je.
— T'aurais pas vu un mec grand, aux cheveux bruns et aux yeux verts?
Je fronce les sourcils une fois de plus. En plus d'être impoli, ce type est vraiment très con.
— T'es sérieux? Tu ne voudrais pas plutôt me dire son nom? ce serait plus simple. Il y a des tas de grands bruns aux yeux verts ici.
L'homme lève les yeux derrière moi et remonte le capuchon de son pull noir sur sa tête.
— Ça va. C'est pas grave, dégage.
Je m'étrangle.
— Pardon?
— T'as compris, dégage.
Je plisse les yeux. Pour qui il se prend de me parler comme ça? Je ne sais pas ce qui ne tourne pas rond chez lui, mais je déteste son ton grossier. En plus, il ose me donner des ordres.
Agacée, je rebrousse chemin jusqu'à la porte arrière de la maison en laissant derrière moi le jeune homme qui vient de m'aborder. Il était étrange, on aurait dit qu'il se cachait... Mais de quoi, impossible de savoir.
Je chasse cette image de ma tête et reprend mes recherches. Je dois trouver Chris, et au plus vite.
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